chemin, à moins que je me fonde à ce point dans les lieux où je me
trouve, qu’on m’en croie résident ou natif. Il arriva par exemple un
jour à Londres que des sortes de Japonais me demandèrent comment
rejoindre Queensway, artère indistincte d’un quartier indistinct — et,
fait notable, je sus leur répondre.
Je me souviens parfaitement qu’en septembre 2007, un individu louche
m’arrêta à son tour : nous étions à deux pas de chez moi, dans le Xe
arrondissement, mais je ne pus lui indiquer la rue Alexandre-Parodi, et
pour cause : elle n’existait pas. « Mais si, vous savez bien, entre le
faubourg et le canal ! insista-t-il.
– Vous devez vous tromper.
– Avec une librairie.
– Une librairie ? Laissez-moi rire !
– Et votre plan, là, il doit bien en parler, de la rue Parodi ?
– Monsieur, je vous le répète, il n’existe pas plus de rue Parodi que
de librairie dans ce coin du Xe.
– C’est un monde ! » dit-il, puis il s’éloigna.
C’était un monde, en effet : je déplorais autant que lui qu’elle
n’existât pas.
Or, quelques jours plus tard, une découverte sensationnelle : on avait
percé une voie supplémentaire entre le faubourg Saint-Martin et le quai
de Valmy. Des commerces y avaient déjà ouvert, ainsi qu’un campus
universitaire. En son centre, je trouvai la librairie Litote en tête.
Enfin une librairie à cent mètres de chez moi ! À la satisfaction se
substituèrent pourtant l’angoisse et des sueurs froides : cet individu
louche, l’autre jour, connaissait et cherchait une rue qui n’existait
pas encore parce qu’il venait du futur, me dis-je, et d’autres créatures
humanoïdes vivaient parmi nous l’air de rien, prêtes à nous troubler
avec leurs questions anachroniques et leurs nouvelles rues. L’usage de
la raison m’aida pourtant à reprendre pied dans la réalité : puisque ces
êtres capables de voyager dans le temps pouvaient se tromper de jour, il
ne fallait pas craindre grand-chose de leur part. Quant à leur capacité
de bâtir une rue l’air de rien, quel mal y avait-t-il à cela ?
J’arpentai donc pour la première fois la rue Alexandre-Parodi et entrai
dans la librairie Litote où m’accueillirent Corinne et Maryline. Je
compris instantanément qu’elles venaient d’ailleurs : qui d’autre, en
2007, que des êtres originaires d’une galaxie lointaine auraient
consacré, sur une si petite surface, une place aussi grande à la poésie
? Des albums pour enfants en pagaille, des piles d’Anna Gavalda et les
romans de saison avaient beau donner le change, je ne fus pas trompé par
leur dispositif. Je pris toutefois ce parti de préserver leur discrétion
: mes achats fréquents de poésie sont le seul signe de connivence que je
m’autorise.
Hier encore, une femme bizarrement coiffée m’a demandé la librairie
Litote : je lui ai montré le chemin et l’ai saluée d’un clin d’œil. Elle
n’a pas eu l’air surpris, bien entendu.
2 commentaires:
C'est marrant, la première phrase j'aurais pu l'écrire.
L'étonnant étant que ça m'arrive aussi dans des lieux où les natifs sont plutôt du blond aux yeux clairs ce qui n'est pas exactement mon cas.
PS : Et moi depuis jeudi je sais où est la librairie mais je suis passée à trop pas d'heure et elle était fermée.
Reviendrai (avez-vous le bouquin sur les "perfos" ?)
Quel joli texte ! ;-)))
Je viens vous voir régulièrement sans laisser de comm , depuis ma 1 ère visite chez vous grâce à Cuné ... avec ces quelques mots bien choisis pour vous par votre client ami , vous devriez commencer une bonne semaine .. :-D
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