08 octobre 2008

2ème texte de notre client ami Jean-Marie Sapet

« Avez-vous un Guide Maupassant sur la Normandie ? » On surprend souvent ce genre de question dans une librairie, mais c’est d’un autre quiproquo que je fus le témoin à la Litote. Un jour que je m’y attardais, un homme d’un certain âge, habillé avec élégance, entra sourire aux lèvres dans la librairie : « Bien le bonjour à ces dames ! Toujours aussi charmantes ! » Ces dames le reçurent avec le même enthousiasme : Monsieur T. ! Comment allait-il ? Cela faisait si longtemps. Il avait l’air en forme. Il rajeunissait. Et ainsi de suite. Monsieur T. brillait, paradait, flamboyait et l’éclat de ses propos se répandait alentour.

« Mais je ne vous ai pas présenté Philippe, lança Corinne.

— Mais comment donc ! Enfin lui ? Le cher homme ! » Et notre dandy chenu de lancer une bordée d’éloges sur les qualités de Philippe, son dernier livre, d’ailleurs il les avait tous lus, mais comment donc, et il l’avait remarqué le premier quand tous les critiques ronflaient sur leurs piles de romans. Et ce style, ah ! ce style nouveau et frais, il était pourtant si jeune, le jury du Goncourt l’avait remarqué, mais comment donc…

Il n’en finissait plus de porter aux nues le cher Philippe, l’extraordinaire Philippe, ce Philippe qui ne partirait pas sans lui avoir dédicacé son dernier opus que de leurs rayonnages ses ravissantes libraires allaient incontinent lui sortir. Maryline et Corinne en recevaient aussi leur part, elles dont la librairie, accueillante aux lecteurs, les honorait en plus chaque jour de la visite d’un écrivain. Du dernier chic, la Litote ! Le rendez-vous du gotha !

Pendant qu’une cliente se pâmait, non moins pour Philippe que son thuriféraire, les yeux de Corinne n’en finissaient plus de s’ouvrir et la lumière au-dessus d’elle tremblait de la même indécision spasmodique : dire quelque chose ? ne rien dire ? Mille vœux insensés tourbillonnaient, qu’elle formait en silence : « …un météore, une voiture en feu, que le pape se téléporte dans la librairie, une tempête de neige au rayon bande dessinée, un tamanoir volant, une éclipse de soleil, n’importe quoi, vite ! ». Mais rien de cela.

Rien.

Du tout.

Toujours rien.

C’était long.

Tellement long.

C’est Maryline qui l’interrompit : « Monsieur T., marmotta-t-elle, Philippe est notre stagiaire. » Silence de mort. Des mains de la cliente à présent éberluée, deux des trois livres tombèrent, mais elle n’osa les ramasser et son visage se crispa. Monsieur T. dévisagea successivement Philippe, Corinne, la cliente, Maryline, moi, la pendule, Corinne, puis fit soudain volte-face, marcha lentement jusqu’à la porte, l’ouvrit et quitta la librairie sans un souffle.

La tension, à proprement parler, ne retomba jamais : en l’espace de quelques secondes, la cliente ébahie voulut payer ses livres, le fax se déclencha, Philippe, l’inénarrable Philippe redevenu Philippe tout simplement, fut apostrophé par un coursier, les éboueurs passèrent en trombe — « Attendez ! » hurla Maryline lancée à leur poursuite —, mon téléphone sonna ; ce sursaut, venu trop tard, refoula l’événement dans l’oubli.

Personne ne parle trop de cette histoire à Corinne, de peur qu’elle se pétrifie à nouveau, mais alors qu’elle était sortie un instant, Maryline me murmura un jour cette question : « Mais de qui parlait-il ? ». Je ne sus lui répondre.

4 commentaires:

Lucile a dit…

Hihihi! En tant que spectateur, ce genre de scène est un régal! En tant que protagoniste, peut-être moins... :/
Je profite de l'occasion pour vous dire à quel point j'aime votre blog, comme je l'ai dit dans ce tag-là :
http://lameralire.blogspot.com/2008/10/i-love-your-blog-and-this-tag.html
Je me doute que vous n'aurez pas le temps d'y répondre mais voilà, vous le savez, comme ça! ;-)

Anonyme a dit…

Cher Jean-Marie,
je voulais vous dire que j'ai adoré votre texte du jour, il est d'autant plus savoureux qu'il me fait penser à un de mes voisins qui est aussi client de la librairie...Quel petit monde celui de la rue Alexandre Parodi, que j'habite et fréquente assidument depuis fort longtemps , j'y habitais même avant qu'elle n'existe, je fais ici allusion à votre 1er texte qui m'a lui beaucoup plus inquiété, voire dérangé...
Votre Monsieur T m'a amusé, il m'a fait penser à Bouvard et Pécuchet, à charles Bovary dont Flaubert disait que la conversation était plate comme un trottoir de rue...Mais avez vous remarqué que rue Alexandre Parodi, les trottoirs ne sont jamais tout à fait plats. Amis du soir, Bonsoir et à bientôt de vous lire ou de vous croiser au détour de notre librairie qui on le sait maintenant n'accueille que des personnes très respectables, à ce propos corinne m'a d'ailleurs confié dans le plus grand secret que le prix nobel de littérature viendrait fêter son succès dans la librairie mais chut ! Sandrine

Anonyme a dit…

Chère Sandrine,
J'espère avoir un jour le plaisir de vous remercier de vive voix chez nos amies de la Litote - par exemple lors de la venue de JMG ou de quelque autre auteur distingué qui s'aventurera sur les trottoirs de la rue Parodi. Merci par écrit, en attendant, pour votre aimable commentaire.
Jean-Marie

litote en tête a dit…

Merci Lucile...

et Jean-Marie aussi.

Je rajoute des bises pour Sandrine.