08 février 2007

Cabinet de curiosités ou curiosité aux cabinets ?

Étant persuadé que les « coffee table » (voir blog d’hier) en apprennent beaucoup sur la personnalité de ceux qui nous les proposent sur leur table basse de salon, je me suis demandé si nos lectures aux toilettes sont, elles aussi, révélatrices de notre personnalité ! Existe-t-il une enquête sur les « cabinets » de lecture ? Qui donc est celui-ci, capable de passer une heure les fesses à l’air, plongé dans le catalogue de la Redoute ? Son père faisait-il la même chose avec le catalogue de Manufrance ? Et cet autre, candidat au rhume de fondement, qui ne partira pas tant qu’il n’aura pas achevé le dernier Lanfeust de Troy ? Ou ce dernier, seigneur du bidet, accroc aux exploits de Malko Linge et de son auteur de merde, Gérard de Villiers ? Mais trêve de moquerie, c’est à seize ans et dans les toilettes du lycée que j’ai dévoré mon premier San-Antonio, prélude à une découverte et une passion dont je vous ai déjà entretenues.
Puisqu’il faut parler des lectures « au petit coin », citons, bien sûr, Henry Miller qui déclare dans son livre Lire aux cabinets (Éd Allia) : méditer sur le problème du jour, ou même sur ses problèmes personnels, est la dernière chose que désire faire l’individu normal. Je vous laisse méditer à votre tour sur cette sentence et sur la normalité des individus. À dire vrai, je ne suis pas allé au bout de l’ouvrage qui m’est tombé des mains, avec les conséquences que l’on peut imaginer dans un lieu d’aisance.

Beaucoup plus drôle en revanche est le Grand livre du petit coin (Éd Horay) qui visite les toilettes du monde entier, et nous entraîne dans leur représentation à travers la presse, le cinéma, le théâtre, les faits divers, la photographie, le dessin et que sais-je ! Auteur d’un Cabinet des curiosités urologiques, j’apprécie d’autant mieux la somme de recherches qu’il a fallu pour aboutir à cette compilation. Pour ma part, j’ai compris qu’il n’y avait jamais loin du cabinet de curiosités à la curiosité aux cabinets ; j’en veux pour preuve l’extraordinaire saga de La Fontaine de Marcel Duchamp (1887-1968), le plus célèbre de ses ready-mades. On ne voit qu’elle en ce moment dans la presse, un urinoir en faïence blanche recouverte de glaçure céramique et de peinture (63 x 48 x 35 cm) signée Richard Mutt. Si l'original conçu à New York en 1917 a été perdu, une réplique a été réalisée sous la direction de Marcel Duchamp en 1964 par la Galerie Schwarz de Milan. L’objet, refusé au Salon de la Society of Independant Artists de 1917, a suscité beaucoup de polémiques, très attendues en fait par l’artiste, pour qui, dans l'art, l'idée prévaut sur la création. Ce sera pour cet artiste provocateur l'occasion d'écrire des propos parmi les plus révolutionnaires et les plus pertinents sur l'art.
Un autre artiste, Pierre Pinoncelli, a défendu à deux reprises que le fait de pisser dans cet urinoir et de le détruire ensuite était de l’art. En 1998, il fut condamné à 45 000 F de dommages par le Tribunal de Tarascon, ce qui ne l’empêcha pas de récidiver lors d’une exposition de la Fontaine au Centre Pompidou de Beaubourg en janvier 2006.

Et si ce blog d’aujourd’hui, annoncé donc à moitié pardonné, ne vous a pas dégoûté des lectures pipi-caca, ne manquez surtout pas L’art de péter, de Pierre-Thomas-Nicolas Hurtaut, un Essai théori-physique et méthodique à l’usage des personnes constipées, des personnes graves et austères, des personnes mélancoliques et de tous ceux qui restent esclaves du préjugé, paru pour la première fois en 1751 (Editions PAYOT – 2006).
Avant que vous ne vous bouchiez le nez, je ne peux pas vous laisser partir sans vous rappeler que l’histoire du Music-Hall retient le nom de Joseph Pujol (1857-1945) plus connu sous son nom d’artiste, le célèbre Pétomane, dont la devise, ornant les affiches, était :
Le seul qui ne paie pas de droits d’auteur

Et enfin, je pense aussi que cela vous distraira de retrouver ou d’apprendre qu’un pet prend aussi les noms de boule, cloque, cran, débourrée, flatulence, flatuosité, flouse, foiron, fuite, gaz, haricot, loufe, louise, marie-louise, navet, pastille, pastoche, perle, pétarade, prout, rôdeuse, sansonnet, soupir, vent, ventuosité ou vesse ! Comme disait Victor Hugo (1802-1885) :

Mieux vaut un pet sonore qui sort avec fracas
Qu’une vesse puante qui se répand tout bas

Devant filer comme un pet sur une toile cirée, je vous quitte et vous dis à demain,
si je suis toujours en odeur de sainteté !
Le cousin

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour le cousin,
Comme je suis contente que vous abordiez un sujet qui me tient à à coeur : celui de la LPC, soit Littérature Pour Chiottes, appellation que mes soeurs et moi avons adoptée pour baptiser notre activité parallèle, lorque nous nous rendions, empressées, livre, magazines, ou tout ce qui se lit et tombe sous la main, dans le lieu sacré, sanctuaire d'une littérature où nous expérimentions la relativité du temps. Le lecteur, régressant au stade anal, s'emplissait ainsi la tête pendant qu'il se vidait le corps. O malheur! pas de roman sous la main (qui entre dans la catégorie LPC dès qu'il franchit le seuil du sanctuaire), cherchons le programme TV. Lui aussi, disparu? Dieu, que reste-t-il? je regarde, à droite, à gauche : rien. Tant pis, l'envie est trop pressante. Alors, enfant, je lisais les notices d'entretien des produits WC, m'efforçant de mémoriser les noms chimiques, les soudes, les parfums lavande; je regardais bien le logo qui me montrait que mes parents, bien élevés étaient attentifs à la couche d'ozone - ouf, rassurée-. Puis, quand j'en ai eu assez de ces "benzisothiazolione", "citronellol", et autres "méthylpropional" (en français, anglais, allemand, pour essayer de les reconnaître), je me suis attaquée aux notices médicamenteuses qui se trouvaient dans l'armoire à pharmacie, au-dessus de ma tête. C'est ainsi que mon éducation pharmacologique s'est élaborée : liste I ou II, "excipients à effets notoire", "contient du lactose", "attention, conducteurs ou utilisateurs de machines, une baisse de la vigilance est à observer", "effets secondaires: somnolence, urticaire, démangeaison, prurit" (ouille, ne jamais utiliser ce médicament), "date de révision de la notice". J'ai aussi appris quantité de noms de laboratoires, de classements... plein de noms bizarres, qui le resteront probablement longtemps...
Le dictionnaire, non plus, n'a pas échappé à l'expidition latrinaire, ni le manuel de latin ou de grec (apprendre "rosa" aux toilettes : jouissance extrême). Et oui, il nous fallait toujours quelque chose, qu'un toc-toc intempestif venait interrompre : "ça fait une heure que tu es là!" Une heure... on aurait dit à peine cinq minutes.
Enfin, quelle rage maternelle, devant le parcours hygiéniquement douteux du livre qui passait par les toilettes et finissait sur la table... de cuisine!

Miriem ou la curiosité aux cabinets.