12 février 2007

Le parking des angoisses


Comme tout étudiant puis praticien en médecine, je me suis intéressé à tous les organes du corps humain ; mais aucun, pas même le cerveau, décidément trop complexe, ne m’a autant fasciné que la main. C’est d’ailleurs grâce à elle que nous pouvons pratiquer un acte essentiel et de plus en plus négligé du diagnostic médical, la palpation. Les médecins touchent de moins en moins, ou savent de moins en moins toucher. Nous avons pourtant à chaque doigt un capteur d’une extraordinaire sensibilité, constitué des milliers de récepteurs de la pulpe digitale. Aucun scanner ne peut apprécier aussi bien que la main comment un organe se dérobe, se contracte, se dilate et réagit à une palpation minutieuse. J’ai croisé quelques cliniciens capables de décrire des lésions profondes aussi finement qu’une IRM, en promenant leur mains sur la peau des patients. Il y a là à méditer en pensant au trou de la sécu !
Et puis, au-delà de ces considérations médicales, on sera d’accord avec Stephen Jay Gould, l’auteur du « Pouce du panda ” pour dire que « La main, c’est l’Homme ». Ce qui est sûr, c’est que, sans elle, l’Homme ne serait pas et n’aurait pas fait ce qu’il est et ce qu’il a fait. Depuis les premières représentations qu'il a donné de lui-même, en ne montrant que sa main dans les peintures rupestres, jusqu’aux greffes récentes de mains qui ont défrayé la chronique, la main est omniprésente dans l’histoire de l’humanité ; dans les domaines les plus variés de nos activités, culturelles, spirituelles, artistiques, technologiques, ludiques ou médicales, pour ne citer qu’elles. Parler des mains (et pourquoi parler avec les mains!) est un vaste sujet, qui recèle des trésors d’anecdotes, de découvertes ou d’amusements qui constitue le plus riche des cabinets de curiosités, pour reprendre le titre du blog précédent. Si j’avais la place, je vous tiendrais vingt pages sans problème sur ce thème ; tenez, rien qu’en évoquant chacun de nos cinq doigts, comment ne pas s’amuser en apprenant à propos :
- DU POUCE, qu’à Rome, on sectionnait les pouces des soldats qui avaient fui devant l’ennemi, d’où l’étymologie du mot « poltron », venant de pollex truncatus, signifiant « pouce coupé » ;
- DE L’INDEX , qu’au Cameroun, si on désigne une plaie ou une brûlure avec l’index, elle suppurera ;
- DU MÉDIUS, qu’on l’appelait, au Moyen Âge, le mytannier ou doigt Médecin, car c’est avec ce doigt, le plus long de la main, que les médecins touchaient les malades. Il se dit que certains malades, peu satisfaits de ces praticiens, attendaient que ceux-ci aient le dos tourné pour leur renvoyer ce même geste, devenu aujourd’hui une injure particulièrement grossière ;
- DE L’ANNULAIRE, que ce 4ème doigt possède une veine dorsale appelée autrefois la salvatelle, lieu de prédilection des saignées d’urgence. Au Moyen Âge, les anatomistes pensaient que cette veine allait directement au cœur, d’où le choix de ce doigt pour y passer l’anneau nuptial.En revanche, la médecine chinoise nous enseigne que le méridien du cœur circule de l’aisselle jusqu’à l’ongle de l’auriculaire ;
- ET DE L’AURICULAIRE, que c’est le plus petit des cinq doigts de la main, celui qui peut s'introduire facilement dans le conduit de l'oreille (d’où son nom) et y chuchoter des secrets, à l’origine de l’expression : « Mon petit doigt m’a dit… ».

Pour terminer sur une note médicale, savez-vous ce qui s’est passé d’extraordinaire le 8 novembre 1895. Ce jour-là, à Würzburg en Bavière, un homme observe pour la première fois un rayonnement inconnu, émanant d’un ballon de verre, vidé d’air, dans lequel passe un courant d’électrons sous haute tension. Ce rayonnement inconnu provoque la luminescence d’un écran de platinocyanure de baryum qui se trouve à proximité du ballon. L’homme interpose entre la sphère et l'écran fluorescent des objets divers : une feuille de papier, une feuille de carton, un livre, une mince feuille d'aluminium ! Mais comme il tient tous ces objets à la main, il constate avec amusement que les os de sa main deviennent visibles sur l'écran.
Ce scientifique s’appelait Wilhelm Conrad Röntgen ; il venait de réaliser une radiographie de sa main. Le 22 décembre 1895, il récidive en radiographiant la main gauche de sa femme, portant une bague et son alliance, image considérée aujourd’hui comme la première radiographie de l’histoire de la médecine.
Des histoires comme celle-ci, j’en ai plein ma besace ; au point que s’il y a un producteur de pièce de théâtre parmi vous, je lui lance un appel pour m’auditionner. J’ai écrit un long monologue sur la main, ce « parking des angoisses », comme disait si joliment le Pr Villain, l’inventeur de SOS Mains. Il ne me manque qu’un petit coup de main pour le mettre en sène.
À deux mains.
Le cousin
LA MAIN QUI PARLE ; Tiziana & Gianni Baldizzone. Phébus, avec une passionnante introduction de Boris Cyrulnik.
LES MAINS DES HOMMES. Karl Gröning, La Martinière.

La photo est celle de la main de Berta Röntgen, première radio de l’histoire de la médecine.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Des cabinets à la main...

J'aimerais bien le lire, moi, votre monologue sur la main. Et si vous nous en livriez quelques extraits (promis que personne ne vous piquera vos idées, juré craché), on en saurait plus sur la poésie des paumes,plats, doigts et lignes.
A bientôt,
Miriem

litote en tête a dit…

je vous en livre un peu plus la prochaine fois, mais là je ne sais plus où donner de la tête et je passe …la main à Corinne.
merci de vos encouragements
amitiés
le cousin