Pierre Ménard animait samedi 13 février son premier atelier d'écriture dans le cadre de la résidence d'écrivain soutenue par la Région Île-de-France qu'il propose pendant dix mois à la librairie. Il a fait travailler, dans la bonne humeur et l'énergie créative, une douzaine de participants enthousiastes au Centre d'animation Château-Landon en partant de l'oeuvre de Thomas Clerc : Paris, musée du XXIe siècle : Le Dixième arrondissement, Thomas Clerc, Gallimard, Collection "L'Arbalète", 2007.
Entrelacer, dans une forme hybride d’écriture, l'étude objective, documentée, et les considérations personnelles ou autobiographiques (ces dernières n'étant nullement inscrites en marge de l'étude mais dans son déroulement même), pour décrire un quartier, une ville, en adoptant l'ordre arbitraire mais incontestable de l'alphabet. Il faut en effet renouveler les modes d'approches et de perception de la ville en s'offrant à la flânerie et à une lecture vagabonde, discontinue plus que linéaire.
Présentation du texte :
Dans cet ouvrage, Thomas Clerc a décidé d'arpenter de long en large le Xème arrondissement de Paris à travers ses 155 rues, places, quais, squares, cités, avenues, jardins, boulevards, impasses et passages, en adoptant l'ordre arbitraire mais incontestable de l'alphabet, de la rue d'Abbeville à la cité Wauxhall. Il s'offre à la flânerie et à une lecture vagabonde, discontinue plus que linéaire de la ville. Un portrait du quartier entre la confession, le rêve, l'étude ethnographique, politique, économique et, bien sûr, historique qui inclut en outre une réflexion sur la "muséification" de la capitale.
Extrait :
« Je pars de la RUE DU FAUBOURG-SAINT-MARTIN (1 885 x 20 m), mon centre de gravité. Sur la façade du I, apparaît en lettres de métal CENTRE DE SANTÉ. Un travelling arrière, et le voilà métamorphosé en « marchand de vêtements pour enfants ». Comme un néon sur les murs d'une galerie, les mots brillent dans le vide, coupés de leur référence. Contact : j'accoste un client qui sort du magasin. Il n'a rien remarqué de spécial. Piège : si un laboratoire d'analyses médicales dépose le bilan, ses résultats sont-ils encore fiables ? Le négatif devient vice versa. Configuration : j'observe sous sa protection l'élégante porte Saint-Martin qui, elle, n'est pas un leurre, mais une arche à 3 branches sur socle. Monument mineur, elle n'est guettée par aucun effet d'usure. La nuit, éclairée par des projecteurs, elle accède même à la beauté du second rôle. Le bas-relief a fixé les personnages historiques en spectateurs impuissants ; face à la mobilité incessante des piétons et voitures anonymes, les héros louis-quatorziens n'intéressent personne, comme s'ils avaient été floués par la gloire. Théorie : l'ennui dégagé par les monuments vient de leur caractère universel, qui les ancre dans un lieu définitif et les fige pour l'éternité dans le statut de « grande chose ». Bien qu'il y ait des gens ennuyeux comme des monuments, la face humaine me paraît toujours plus riche de sens et d'affect que les « vieilles pierres ». Les monuments sont des volcans éteints. Cet ennui ne se dissipe que par la grâce d'une représentation, film ou photo, qui ranime les masses de la ville endormie, et transforme les fictions en documentaires. Rebaptême : la porte Saint-Martin, ma colonne d'Hercule. Méthode : je prends le trottoir de droite pour monter vers Stalingrad, je prendrai celui de gauche pour redescendre. Au 3, l'inscription « À LA PORTE SAINT-MARTIN » orne un mascaron inachevé. Dans un quartier noble, on aurait fini les travaux d'embellissement, je les poursuis et m'intronise redresseur de torts des arrondissements. Synesthésie : le flot automobile définit l'ambiance visuelle, sonore et olfactive du faubourg. 2 voitures à peine peuvent tenir sur la chaussée, restreinte par un couloir de bus. Dès les premiers pas, le règne des grossistes du textile s'affirme avec brutalité. L'art des marques et des logogrammes, le branding, fait fureur dans la rue capitaliste : les noms — Yony Boy, Halogène, Kids Star — parfois pimenté par un calembour (Mot le ton), vantent le style profane de leur fonds de commerce. Comme les mauvais livres se signalent d'eux-mêmes par leurs titres, la marchandise impersonnelle éclate au grand jour. Le nom Jeudi après-midi, seul, ajoute quelque épaisseur à l'enfance du vêtement. Numérophilie : les 3 bus de la rue (38 + 39 + 47), additionnés, donnent 124. Au 5, un magasin ose se présenter au public dépourvu de nom, son propriétaire ne s'est même pas donné la peine de baptiser un commerce qu'il envisage comme pur moyen de parvenir. Les marchandises exposées en vrac, des vestons pour enfants, s'appellent implicitement camelote anonyme. »
L'intégralité des textes est disponible sur le site Liminaire de Pierre Ménard.
À lire également sur le sujet, sur le blog Pendant le week-end, le compte-rendu sur l'atelier d'écriture de Pierre Ménard par Pierre Cohen-Hadria et sur le blog de Dominique Hasselmann, la nuit tombe sur le Boulevard Saint-Martin et l'on se souvient du livre de Thomas Clerc :
Boulevard Saint-Martin, la nuit a fini par tomber (1/2)
Boulevard Saint-Martin, la nuit a fini par tomber (2/2)
Rendez-vous samedi 13 mars à 14h. au Centre Château Landon pour un nouvel atelier d'écriture avec Pierre Ménard.
Renseignements et réservations à la librairie : 01 44 65 90 04
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